Palerme, 21h02

Dans un complexe d’appartements du centre-ville, toutes les lumières sont allumées, ou presque. A la première fenêtre, la télévision est allumée, la table est remplie de sucreries, et trois jeunes étudiantes se préparent pour leur soirée film en enfilant leur pyjama le plus confortable. A la seconde, une vieille dame caresse son petit chien, les yeux rivés sur les étoiles, des secrets plein la tête. A la troisième, un repas de famille se prépare, les enfants mettent la table, les parents discutent dans la cuisine. A la quatrième, des bougies suffisent à éclairer la pièce, au milieu de laquelle une adolescente semble en pleine séance de méditation, le nom d’Elpis sur les lèvres, l’espoir de s’en sortir dans les veines. A la cinquième, un homme a le dos courbé, penché sur son bureau, pris par son travail. A la sixième, personne, pas un signe de vie, l’heure de la sieste ou un appartement vide peut-être. A la septième, un chat chasse les rideaux, tandis qu’un enfant chasse le chat. A la huitième, un autre enfant a la bouche pleine de chocolat, et son père, les sourcils froncés, qui lui rappelle que s’il n’est pas sage, Elpis viendra le chercher. A la neuvième, une soirée se prépare, et les lumières s’éteignent pour la surprise alors que la porte d’entrée s’ouvre. A la dixième, un dîner aux chandelles, une annonce, elle est enceinte et les espoirs en l’avenir dépassent le plafond.

Plus loin, au fin fond de la forêt, un groupe de jeunes essaie de se rassurer. Ils n’ont plus l’âge pour les histoires de fantômes. Leurs parents ne peuvent plus leur faire peur avec Elpis et sa suite de spectres, ceux qui auraient fini par atteindre Palerme, ceux qui auraient décidé de s’installer dans ses bois pour accomplir sa volonté. Eux, ils comptent bien prouver au monde qu’ils ont grandi, et qu’ils ne se feront plus avoir. L’un d’entre eux, pourtant, est bien là pour prouver l’existence de ces entités, celles que sa mère lui a décrites, celles qui peuvent exaucer des souhaits et protéger ceux qui les aiment, celles qui ne cherchent qu’à faire plaisir aux enfants. Ils ne verront jamais les fantômes, ils n’entendront jamais le murmure d’Elpis – pourtant les branches bougent étrangement vite, et le vent semble presque murmurer quelques mots, quelques mots qu’ils ont du mal à comprendre mais qui finissent par les faire détaler. Rentrez chez vous, la nuit tombe.

Ce ne sont que des histoires pour enfants. Ce ne sont que de vieilles légendes passées de génération en génération. Chaque famille a une preuve de leur tangibilité, pourtant, et tout le monde en rigole, un peu. Parfois, les légendes se mêlent à la vie des habitants de Palerme, et peu de gens doutent de leur véracité. Parfois, plusieurs années passent sans qu’il ne se passe rien. D’une manière ou d’une autre, tout le monde continue toujours à vivre, et au fond, ceux qui y croient encore espèrent soit que l’Etna finisse par libérer Elpis, soit qu’il ne le fasse jamais.