1995 | Quatrième enfant de la fratrie, Lazzaro en est le deuxième fils, et il n'a par conséquent pas beaucoup de pression sur ses épaules, encore moins quand il est rejoint, deux ans plus tard, par les jumelles, et trois ans encore après par le petit dernier. La famille est grande, riche, et relativement libérale - les enfants sont libres de choisir quoi faire et quand, et leurs parents les soutiennent dans tout, tant qu'ils ne font pas de mauvais choix, chose dont ils restent les seuls juges.

2010 | Après avoir sauté deux classes et avoir eu des félicitations pour toutes ses réussites scolaires et des avertissements pour tous ses rapports de comportement en classe, Lazzaro annonce à ses parents qu'il ne veut plus aller à l'école, et qu'il a fait le tour de ce qu'il y avait à voir là-bas. Malgré leur insistance et leurs menaces, il n'y repartira pas.

2011 | Fatigués de se battre avec lui pour qu'il reprenne sa vie en main, ses parents le mettent à la porte en pensant qu'il passera quelques jours dehors avant de revenir la queue entre les jambes en réalisant qu'ils avaient raison. Cupio se sent enfin libre de faire ce qu'il souhaite et entreprend de se faire des contacts dans la rue pour jouer de la musique et faire de l'art sur les murs de la ville.

2015 | Cupio rencontre Ottavia, une jeune violoniste avec qui il vit une histoire d'amour passionnelle et enivrante. Tout se passe extrêmement vite, et deux mois après leur rencontre, ils se marient devant témoins.

2016 | Une fois la flamme du commencement morte, Cupio se désintéresse d'Ottavia et de leurs projets d'avenir, tandis qu'elle commence à le blâmer pour tous les mauvais choix qu'elle a pu faire. S'ils commencent par hésiter à cause du ventre d'Ottavia qui grossit de jour en jour, une dispute de trop suffit à les faire remplir les papiers du divorce sans un seul regret pour éviter de se faire encore plus de mal. Mais puisque ce serait trop simple, ils ne parviennent pas à trouver un compromis pour la garde de l'enfant à naître, les papiers sont jetés aux flammes, et leur histoire finit au tribunal.

2018 | Alors qu'il est en road trip en Sicile avec des amis, Cupio saute de la voiture en route et leur crie de continuer sans lui et qu'il les rejoindra plus tard, alors qu'il est à deux kilomètres seulement de l'Etna. Habitués, ils continuent leur chemin, et lui se rend sur le volcan, qui l'appelle. Peu de temps après, sa route le mène à Fames, qui lui tend les bras, et il se jette dedans.

août 2003

« Maman, maman ! Regarde ! » Prissa fait de son mieux pour tendre le cou vers Cupio malgré le bébé dans ses bras, et lance un sourire encourageant à son fils qui pointe fièrement du doigt le dessin d’un animal non identifié sur le mur de sa chambre. Depuis deux jours, il passe tout son temps sur ce dessin, et elle n’est pas certaine de savoir ce qu’il espère en tirer, mais elle ne manque jamais de lui dire qu’il a du talent. Elle continue de passer au dessus du fait que le dessin se voit à peine à cause de tout ce qui encombre déjà la pièce : sur le bureau, un début d’écharpe a été plus ou moins bien cousu, mais il est toujours accroché à la machine qui prend la poussière ; au sol, une dizaine de puzzles sont mélangés et des pièces manquent déjà ; sur le mur, trois différents instruments de musique sont posés et bientôt, promis, il reprendra ses leçons de solfège. « Papa a acheté le modèle de bateau que tu voulais Laz d’ailleurs, il est dans l’entrée ! » Mais Cupio a déjà repris son dessin en sautillant sur place. Il a demandé le bateau la semaine dernière. Ce n’est déjà plus l’heure. Il prendra la poussière, lui aussi.

novembre 2012

Il fait froid, aujourd’hui, mais les rires leur tiennent chaud, et les fonds de tequila aussi, alors ils s’en fichent un peu. Ce soir, Lucia lui tiendra chaud, ou peut être Marco, et ils vont de toute façon sûrement tous passer la nuit au foyer, cette fois, parce que l’hiver n’est pas très clément cette année, et qu’ils commencent à avoir vraiment faim. Cupio n’a plus vraiment envie de jouer de la guitare, et pourtant c’était sans doute ce qui leur rapportait le plus d’argent. Il faut dire que cette nouvelle lubie de jouer à l’homme statue, elle ne plaît pas à tout le monde, et il n’est pas franchement doué là-dedans – mais ils peuvent dire ce qu’ils veulent, ils savent très bien que rien ne peut faire changer d’avis leur ami, alors ils font avec, et ils lui donneront une partie de ce qu’ils se font eux, s’il le faut.

janvier 2016

L’assiette explose à côté de sa tête mais il a lancé un livre en retour avant de le réaliser réellement. Ses cris et ceux d’Ottavia se confondent, mais il n’est pas certain de savoir qui dit quoi, et il ne croit pas en avoir grand-chose à faire. Le volcan de sa colère explose et voudrait tout entraîner sur son passage, mais celui d’Ottavia continue de se dresser fièrement, et personne ne peut gagner parce que personne n’est prêt à perdre. Pendant une demi-minute, il revoit ses yeux rieurs, il entend son rire tandis qu’ils se jetaient du haut d’une falaise pour faire une bombe dans l’eau, il l’entend dire « je le veux » et il se souvient avoir été l’homme le plus heureux du monde. Celle qui suit, il la revoit tourner sa cuillère dans sa tasse trop longtemps et soupirer en voyant qu’il n’a pas bien rangé ses chaussures et ne pas cuire les pâtes assez longtemps pour la troisième fois de la semaine et il l’entend lui répéter de faire plus attention à elle et de ne pas la prendre pour acquise et de lui reprocher d’être trop distant, encore une fois. Des coups secs à la porte d’entrée leur font savoir que les voisins ont encore appelé la police pour soupçon de violence conjugale, et ils n’essaient même pas de ravaler leur haine passionnelle avant d’ouvrir pour accuser l’autre.

avril 2017

Il tripote sa cravate. Il étouffe un peu. Tout le monde est parti ou presque. Ses amis sont toujours là, quelque part derrière la porte. Ils sont tous sortis du tribunal en même temps, mais Cupio est resté derrière, figé sur son siège, à tirer sur sa cravate. Il ne lui semble pas avoir déjà perdu une bataille avant aujourd’hui. Et quelle bataille. Ses mains tremblent doucement et il essaye de se concentrer sur sa respiration, mais son cerveau est ailleurs, et il n’arrive qu’à revoir les images de ces derniers mois, qu’à entendre les mots de ces dernières heures. Il se souvient déjà à peine du visage de sa fille, en août dernier, à côté du visage fatigué et toujours haïssable d’Ottavia. Il était censé la retrouver après le tribunal, il était censé la ramener avec lui, au moins pour le week-end, il avait déjà construit un petit berceau, il avait déjà recherché des appartements avec une chambre pour qu’elle puisse être tranquille, il avait déjà fait des plans pour l’avenir, ou presque. Mais la décision avait été sans appel. Trop instable. Trop irresponsable. Trop impulsif. Ni emploi, ni famille, ni logement stable, ni situation. Il n’avait aucune chance, et pourtant, il n’avait pas envisagé perdre. Ottavia devait déjà être avec elle, chez ses parents. Ottavia avait gagné la seule bataille qui comptait réellement. Et lui, il reste là, et il tripote sa cravate trop serrée.

avril 2021

Cinquième minuscule ongle ajouté au cinquième minuscule doigt à la peinture rouge. Le fœtus sort doucement de cette pierre, et il a un sourire satisfait en mordillant son pinceau et en prenant du recul. Le nom ne fait aucun doute, cette fois non plus. Celeste, XXVII. L’exposition est prête, et heureusement, parce qu’il est déjà en retard pour le travail, et il ne peut pas se permettre de faire des heures supplémentaires parce que Bellum et lui ont prévu d’apprendre à souffler du verre, ce soir. Il jette son pinceau dans un coin de la pièce et commence à chercher son manteau partout en posant simplement un baiser sur le front de Fames en passant. « A ce soir ! » La porte est claquée derrière lui malgré les avertissements qui viennent de l’intérieur, et il part presqu’en courant au café où il travaille depuis peu. La tempête fait trembler la ville sous ses pas. Jusqu’à la prochaine passion où elle emportera tout sur son passage.