Le jour où Jake est né, les nuages menaçants assombrissaient la ville de Londres et le froid était si intense que personne n'osait sortir dans les rues. Certainement un signe de l'univers parce qu'il a toujours été un petit garçon à l'image de cette journée triste et silencieuse. Il ne parle que très tard, si tard que ses parents l'ont emmené voir de nombreux médecins. Il n'a aucun troubles apparents Jake, si ce n'est passer un peu trop de temps dans sa tête au lieu de s'ouvrir au monde. Trop calme pour un enfant, il ne pleure pas, ne se fait jamais remarquer, ne joue pas beaucoup non plus. Il s'anime un peu plus à la naissance de son petit frère Drake et il est la seule personne qui arrive à faire découvrir une part plus vivante et enjouée de lui au reste du monde.

Parfois, il essaie de se rappeler ce qu'il a ressenti lorsque sa mère est morte et il a souvent honte de répondre qu'il n'a rien ressenti. Ou plutôt, qu'il a tellement tout ressenti que rien n'a pu sortir. La tristesse s'accumule en lui et il ne sait pas l'exprimer. Il se détache encore plus de tout et de tout le monde, sauf de Drake. Son frère, c'est la raison pour laquelle il se lève le matin. Il veut l'aimer, le protéger, le voir sourire comme lui ne l'a jamais fait. Il partage tout avec lui, lui parle de toutes les légendes siciliennes qu'il étudie et le fascinent. Il lui vend cette grande île, ce soleil aveuglant, la ville de Palerme et ils se promettent de partir vivre là-bas tous les deux sans vraiment y croire. 

Un jour, la noirceur l'enveloppe tellement qu'il ne voit plus rien. Il veut crier, appeler à l'aide, mais aucun son ne sort. Il veut pleurer, mais n'a jamais réussi à le faire de sa vie. Il voudrait expulser toute la souffrance hors de lui, mais il n'a jamais su comment faire et maintenant, il étouffe. Alors, il tente de mettre fin à tout cela, dans un bar miteux de Londres. Un échec puisqu'il sera sauvé par un inconnu et qu'il se réveillera à l'hôpital, obligé de se plier à un suivi psychologique qui ne l'aide pas vraiment. Il ne regrette pas d'avoir survécu, mais il se détache encore un peu plus de tout. Même de Drake. Il voit son petit frère souffrir, mais lui-même n'a plus la force de porter sa peine. Alors, à ses vingt ans, il l'abandonne. Il fait ses valises et fuit à Palerme. Il ne jette pas un seul regard en arrière, refuse d'observer ce frère qu'il aime plus que tout au monde parce qu'il est égoïste et qu'il doit rejoindre toutes les légendes qui l'obsèdent tant. C'est une question de survie.

C'est un peu moins sombre à Palerme. Le soleil brille si fort et il a si chaud que la noirceur fond doucement et qu'il revoit un peu mieux les couleurs. Ce n'est pas parfait, mais c'est bien assez. Assez pour qu'il se concentre sur la fin de ses études et que sa vie professionnelle brillante s'amorce. Il arrive enfin à rencontrer de nouvelles personnes ici. Mikjàll, Artemia, Athena... Des gens qui ne connaissent rien du Jake d'avant et qu'il tente désespérément d'oublier. Il ne respire pas parfaitement, mais il se sent moins à l'étroit. Un poids s'enlève encore un peu plus lorsque Drake finit par le rejoindre en Sicile. Alors, finalement, ils ont su tenir leur promesse. La culpabilité de l'avoir abandonné le heurte de plein fouet, mais ils arrivent à recoller tous les morceaux cassés et ils sont à nouveau Drake et Jake, réunis et plus proches que jamais, et il va encore un peu mieux.

Il s'autorise à tomber amoureux. Lui qui n'arrive pas à comprendre ses sentiments ni à les exprimer, lui qui a peur de l'amour. Il tombe amoureux d'Athena et pendant quelques mois, il se dit que la vie en couleurs est si belle. Un jour, elle est partie et elle n'est jamais revenue. Il ne lui en veut pas, comment le pourrait-il quand lui a déjà fait la même chose ? Il sent les ombres se refermer à nouveau sur lui, alors il se jette corps et âme dans le travail. Artemia lui propose une place à ses côtés à la mairie et il renoue avec celle qui avait déjà tant de pouvoir sur lui à l'époque. Il voit dans ses yeux qu'elle aussi contient la noirceur au fond d'elle et pourtant, elle est si forte. Il ne sait pas vraiment si c'est son corps ou son esprit qui est si faible face à elle, peut-être les deux, mais il se retrouve à nouveau contre elle, leurs corps à nu. Une fois, deux fois, tout le temps, dans toutes les pièces de la mairie. Il n'en a jamais assez et pour l'instant, il ne préfère pas y penser. Pas alors que lorsqu'il est avec elle, il a l'impression de mieux respirer.