Il a arrêté de jouer il y a déjà une bonne vingtaine de minutes, mais il a toujours le regard fixé sur les images, la main serrée sur la manette. Ezio est parti au travail. Il est censé travailler, lui aussi. Mais comme à chaque fois depuis le départ de Milo, il n’arrive même pas à se résoudre à sortir la tablette graphique de son tiroir, il n’arrive pas à dessiner autre chose que des lignes tremblantes sur des papiers. Il soupire un peu et lâche sa manette pour passer sa main dans ses cheveux. Dès qu’Ezio quitte la maison, toutes les pensées reviennent au galop, et il commence à se dire qu’il n’arrive plus à vivre plus ou moins normalement sans sa présence. Dans un élan d’espoir, il monte en trottinant chercher la tablette, l’allume, et redescend avec. Une fois qu’il s’est de nouveau assis sur le canapé du salon, il entreprend de rouler un joint, l’allume, et fixe sa feuille blanche en tapotant sur un coussin avec son stylo. Il lui faut deux minutes avant de lancer la tablette et le stylo à l’autre bout de la pièce, la page toujours blanche. Le jeu qu’il avait fait avec Milo le nargue, en pause sur l’écran de télévision, et il a envie de tout casser pour ne plus jamais avoir à le voir, alors même que c’est sans doute la dernière chose qui le raccroche à lui. Il était censé avoir arrêté d’y jouer quand Ezio était arrivé. Il avait menti, une fois de plus. Il ne faisait que ça quand Ezio n’était pas là.

Les coups à la porte le font sursauter, et il réalise avec un cran de décalage que Roger est en congé et qu’il n’y a que lui pour ouvrir. Un instant, il hésite à faire le mort et attendre que la personne ne parte. Il est toujours en survêtement, il ne s’est pas encore lavé, le jeu le nargue toujours, et il a fumé tellement de joints que le rez-de-chaussée nage dans la fumée. Mais dans un coin de son cerveau, la manière dont on a tapé à la porte semble familière et lui donne une bonne sensation, alors il se traîne hors du canapé, attache rapidement ses cheveux à l’arrière de sa tête, enfonce le joint entre ses lèvres, et ouvre grand la porte en essayant d’avoir l’air heureux d’exister, même si le décor de fond dit clairement le contraire.

Heureusement, c’est Drake, et son corps se détend aussitôt, et son sourire se fait plus naturel, plus fatigué, et plus honnête. Ses yeux se posent sur la coloration dès qu’il la met en avant, et un petit rire s’échappe de sa gorge. Il avait oublié ce pari, mais il n’est pas sans lui déplaire. Drake rentre, parle toujours, et Dante se dirige vers une fenêtre au hasard pour l’ouvrir. Ce n’est pas vraiment dans ses habitudes, mais maintenant, il a fini par accepter que Drake ne prenne plus de drogue, alors ce n’est pas pour l’enfermer dans l’odeur avec lui, même si ce n’est qu’un joint, même si ce n’est qu’une odeur. « Tu tombes à pic, j’avais justement très envie de faire de l’art. » C’est presque vrai, à en juger en tout cas par la tablette graphique au sol. Elle a survécu au lancer, et il semble que Dante a toujours eu beaucoup de chance avec ce genre de choses.

Un dernier coup d’œil vers la télé et le jeu en pause qui le nargue lui suffit pour prendre la décoloration des mains de Drake et se diriger vers la cuisine pour attraper un bol et de quoi la mélanger. « Tu vas être ma-gni-fique. J’espère que ton mari appréciera cette vue. Allez file à l’étage et prend une serviette, j’arrive. » Il profite des quelques secondes de solitude pour se passer de l’eau froide sur le visage, puis attrape une bière et un coca, et un paquet de chips au hasard. En quelques secondes, il a passé sa tête dans les trois salles de bain de l’étage et trouvé Drake installé à côté de la baignoire. « Ooouh, un faible pour la salle de bain rose on dirait. Dire qu’à une époque t’assumais même pas d’être gay. Ca a bien changé. » Un petit sourire amusé décore son visage alors qu’il met en place les outils et les victuailles, et il ouvre sa bière pour en boire une gorgée avant de se hisser un peu sur ses pieds pour appuyer sur les épaules de Drake jusqu’à ce qu’il n’accepte de s’asseoir. Il est trop grand, Drake. Ca le frustre un peu, lui qui a l’habitude d’être le plus grand de la pièce, mais c’est aussi amusant.

« Et c’est partiiiiiii. » En quelques coups de mains un peu tremblants, il récupère les cheveux bruns pour les séparer en plusieurs mèches, attachant tout le haut dans un élastique pour pouvoir poser le tout par racines, étape par étape. Il a l’habitude des colorations, Dante, parce qu’elles ont toujours fait partie des paris qu’il faisait avec ses amis. Il avait les cheveux roses, il y a de cela des siècles, après tout. Le temps passe trop vite. L’idée le fait déglutir un peu, mais il la repousse bien vite en posant le premier coup de pinceau à l’arrière de la tête de Drake. « T’as prévenu Axel ou je vais le retrouver devant ma porte demain enragé ? Je suis sûr qu’il tape fort, je t’aime bien mais pas à ce point. » C’est déjà trop tard, de toute façon.